Vivre

Gayané Adourian
3 min readApr 23, 2023

L’apprentissage. La montagne. La vie. La rage.
21 avril 2023

Je viens de terminer le livre d’Elisabeth Revol, alpiniste française. J’y ai même redécouvert qu’il y avait un mot pour qualifier ceux qui côtoient l’Himalaya régulièrement. Himalayiste. Elle raconte son ascension du Nanga Parbat et surtout la descente, terriblement humaine et surhumaine, en janvier 2018. Comme tout le monde, enfin au moins ceux qui s’intéressent aux sommets, j’ai entendu, lu sur ce drame. Avec mon filtre, qui ira plutôt chercher l’humain plus que la star ou tout autre mot dont on a pu l’affubler à cette époque.

J’ai plongé avec elle dans son récit. En apnée du début à la fin alors même que je la connaissais cette fin. J’ai plongé dans les souvenirs que la montagne m’a enseignée, à moi aussi, alors même que je ne suis pas une alpiniste, juste une randonneuse un peu sauvage qui aime les reliefs et les sommets. Ils me font rêver. J’ai eu moi aussi à un moment un poster de l’Himalaya dans ma chambre, les récits de ceux qui ouvraient les voies, les unes après les autres, les exploits, la mort, la vie.

Je me suis rappelée que la montagne est probablement l’une des meilleures école que j’ai connue et cela me ramène à mon présent, celui avec un petit garçon de 4 ans que j’ai, sur un coup de tête, emmené un jour à l’escalade avant de décider de moi-même, de lui faire prendre des cours. Parce que cette école là, je le sais lui apprendra ce qu’il faudra. En complément, en résonance, avec ce qu’il verra de moi et d’autres.

La montagne m’a tant appris. Tellement. Sur moi, sur le corps, sur l’esprit, sur nos limites, sur notre rapport aux choses et au monde mais aussi sur notre rapport aux autres. L’indulgence, l’humilité, l’observation, la mémoire, la sagesse, la capacité à faire demi-tour, le retour, l’énergie et le sens. La liste n’est pas exhaustive. Très loin.

Elle m’a appris aussi à m’emplir de plein plutôt que chercher à combler les vides. Que le vide et le silence sont des beautés à apprivoiser. À plonger à l’intérieur, potentiellement très loin et profondément, avec ce mélange de peur et de confiance par rapport à ce que j’allais y trouver. Elle m’a appris à prendre une place qui m’est chère, celle où je suis celle que j’aime, pour essayer de la sublimer au quotidien, même sans elle, son appui, son image.

Quand dans chaque moment de grande détresse, je ferme les yeux et je la vois, je suis ailleurs. Immédiatement. Je respire son odeur, je sens sa présence, je ressens son ancrage malgré le tumulte intérieur de la terre vivante, en mouvement. La montagne est mon ancre et mon coeur, celle qui m’empêche de m’envoler trop loin et celle chez qui je me sens chez moi instantanément. Il ne lui manque que des bras, dans lesquels me glisser quand j’ai besoin. Alors je marche en silence parfois, dans les pas qu’elle a dessiné pour tant d’entre nous. J’écoute et vagabonde mes pensées, les laissant à leur tour sédimenter. Parfois j’y écris, j’y dessine, j’y rêvasse aussi à un vie autrement, j’y médite sans y penser et toujours je m’emplis. J’emmène ceux qui le veulent, contempler cette beauté brutale et accidentée, parfois arrondie par le temps, parfois brisée par d’autres. Présente. Puissante. Fascinante. Non-jugeante. Juste par ce qu’elle est, elle enseigne et reflète.

Miroir et ancre. Couleurs tranchées et matières vivantes. Ferme les yeux, elle est là. Elle fait rêver, elle tue aussi parfois. La vie sauvage et ses lois. Meilleur apprentissage. Le froid, la dureté, les parois, la lumière si douce du soir, les animaux qui chantent et les fleurs qui bravent une vie impossible pour offrir en haut, des couleurs vivaces. Refuge. Pas besoin d’être himalayiste pour avoir ce virus des hauteurs. Il est des lieux inaccessibles pour une raison. La rage de vivre.

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Gayané Adourian

Maman solo écolo en reconstruction. Ecriture. Fleuriste. Doula.