Nos mémoires

Gayané Adourian
3 min readApr 8, 2023

--

30 mars 2023. Voici le texte que j’ai écrit pendant l’atelier d’écriture LIBER : Nos mémoires. Un atelier qui explore le rapport à l’écriture, qui interroge aussi le rapport à la mémoire. J’ai choisi la consigne d’écrire à partir de la phrase “Parfois les mères se brisent.” Encore une fois, un texte écrit en 25 minutes. Sans retouche.

Parfois les mères se brisent. Parfois, les épaules ne peuvent plus porter, parfois le ventre ne veut plus se soulever. C’est ce qui arrive quand elles sont isolées, abandonnées, en proie avec leurs responsabilités. Toutes leurs responsabilités. Tout ce qui est attendu d’une mère ferait fuir n’importe quel homme. Et pourtant, les mères tiennent tout. Mais parfois elles se brisent et même quand ça arrive, cela n’est pas entendu. Qui crie en se brisant ? Qui est là pour témoigner d’une mère brisée ? Comment on raconte qu’on s’est brisée, qu’on ne peut plus, qu’on ne sait plus, qu’on veut mourir.

Pour la première fois, il y a quelques jours, j’ai eu un témoin. Un témoin que d’habitude je fais tout pour protéger. Oh il a vu des pleurs, des crises d’angoisse, du stress, de la peur, de la colère aussi. Heureusement, il voit beaucoup plus le reste, la joie, l’amour, le don, la gratitude, la légèreté. Tiens, je me sens obligée d’écrire qu’il ne voit pas que du négatif. Comme si je sentais aussi ce poids là. Mais il y a quelques jours, il a vu le pire. Il a entendu le pire. Des mots que je m’étais interdite de prononcer devant lui, même si parfois, ils m’ont effleuré l’esprit. En général, plutôt sous la forme de tout laisser tomber et partir loin très très loin.

L’autre jour c’était au-delà. L’autre jour, je ne voulais plus être là. J’ai employé des mots qui m’ont fait très peur. Parce que la peur, parce que la fatigue, parce que les violences. Tant de violences, ça laisse des marques. Parce que subir des violences quand on accouche de la part de celui qu’on pensait être un allié, ça brise. Profondément. Parce que gérer un post-partum toute seule quand on est brisée, ça appuie sur le trou béant de ce qu’on est en train de devenir. Parce que les attentes et les contraintes sociétales qui pèsent sur la mère, ça rajoute. Travailler, éduquer, prendre soin, gérer, penser, penser à penser, la liste est longue. Alors une mère ça se brise oui, peut-être plus facilement qu’on ne le croit.

Qui recollera les morceaux ? Probablement encore elle. Peut-être avec de l’aide, peut-être pas. Qui veut d’une mère brisée ? Qui ose tendre la main quand elle est encore si coupante ? Et pourtant, comme les céramistes, il y en a surement des recolleurs de mères brisées. Peut-être des recolleuses d’ailleurs, mais je veux croire que recoller n’a pas de genre. Ceux ou celles qui t’aident à chercher au plus profond de soi, de son amour de la vie ou des autres. Celles ou ceux qui seront capables de t’accompagner pour trouver la force de ramasser chaque bris, et les recoller un à un, à la feuille d’or pour sublimer. Kinstugi. Réparer les blessures. Sublimer les objets brisés. Sublimer les mères brisées et rendre leur beauté. Parce qu’elles sont belles. Il y a de la beauté dans leurs tragédies, leur combats et leurs joies. Oui puisque la société peut briser les mères, entourons les d’amour pour les recoller. Aussi longtemps qu’il le faudra. Qu’elles brillent à nouveau.

--

--

Gayané Adourian

Maman solo écolo en reconstruction. Ecriture. Fleuriste. Doula.