Nos solitudes — Atelier LIBER
Voici le texte que j’ai écrit pendant l’atelier d’écriture LIBER : Nos solitudes. Merci Alice d’avoir permis ce temps suspendu. J’ai choisi la consigne d’écrire à partir de la phrase “Parfois je voudrais faire pouce.” Et les retours des participantes m’ont beaucoup émue. Alors je vous le livre à vous aussi. Sans retouche.
Parfois je voudrais faire pouce. M’arrêter, me retourner, regarder. Parfois je voudrais stopper ce temps qui court à toute allure. Celui qui me vole mes belles années. Je suis plus près des 40 ans que des 30 et j’ai perdu ma trentaine. Argh. Ce constat me glace et je m’empresse de le balayer. Mais non tu n’as pas perdu, tu as un merveilleux petit garçon malgré le traumatisme, tu es en pleine reconversion, tout montre que tu t’en sors, meuf. Arrête de te plaindre. Oui mais je voulais deux enfants. Au moment même où cette idée d’avoir un enfant était enfin parvenue à être envisagée, je n’en voulais pas un, mais deux au moins. Et je viens d’apprendre qu’il me restait 6 mois pour congeler des ovocytes. Au cas où. Oui. J’ai 36 ans et demi, je suis seule. Enfin, pas tout à fait. J’ai ce bout de moi collé à moi tous les jours. Tout le temps. Celui qui parfois ravit mes journée, parfois les détruit. Celui qui me fait plonger au plus profond de moi pour être quand même debout malgré tout. Celui qui a vampirisé mon énergie pendant 3 ans et plus encore. Celui dans lequel je me suis perdue en ayant conscience que je ne pouvais pas faire autrement pour survivre.
Parfois je voudrais faire pouce. Je sais qu’on ne peut pas revenir en arrière. Mais juste pouce. Le temps de reprendre mes esprits. Le temps de rassembler les morceaux de mon coeur et de les recoller. Le temps de panser mes blessures. Celui que je n’ai pas eu parce que plongée dans le tourbillon de la maternité, j’ai sombré. Le temps aussi de forcer cette angoisse sourde à se taire. Ou plutôt, la laisser sortir, sortir, sortir jusqu’au bout pour que plus jamais elle ne revienne me hanter. Et enfin être tranquille. L’angoisse de la trahison, de l’abandon. Encore. On ne se reconstruit pas pour se faire détruire à nouveau. Ça fait trop peur. Le choc, la tétanie, le mode robot, le mode survie. Qui a envie de revivre cela ? Oh oui, il en faut du courage pour pour se laisser-aller. Pour oser être vulnérable à nouveau. On ne met qu’un seul pied dans l’eau noire et glacée. On n’y plonge pas deux fois la tête la première.
Oui parfois, souvent même, je voudrais faire pouce de ma vie. Ces jours qui défilent sans que rien ne les arrête, imperturbables, à l’image de la trotteuse de l’horloge de chez mes grands-parents. Elle me fascinait pourtant, enfant. Pouce de tous ces choix, ces décisions, cette responsabilité, telle une nageuse qui sortirait la tête de l’eau avant de replonger. Sortir de l’urgence du quotidien, celui de la survie. Je ne suis pas nageuse. Je n’aime pas l’apnée. J’apprends à l’apprivoiser dans quelques espaces que je m’autorise à prendre. Inspire sur 4 temps, retient 4 temps, expire 4 temps, retient sur 4 temps. La lente et apaisante valse de la respiration en carré. Celle qui calme une enième crise d’angoisse. Celle qui chasse cette boule au ventre permanente. Est-ce que je vais y arriver ? Est-ce qu’un jour, je retrouverai ce sentiment qui me faisait si légère. Où tourner le gouvernail pour sortir de la tempête et aller vers une mer plus calme ?
L’autre jour j’ai dit que je voulais faire pouce pendant 1 mois quand on m’a demandé ce dont j’avait besoin. On m’a rit au nez. C’est impossible, “soit réaliste” qu’on m’a dit, “tu ne peux pas vouloir rester loin de ton enfant pendant si longtemps. Et puis où irait-il ?” Et j’étais là, ébahie. Regardant les barreaux de ma prison que j’écarte tant pourtant. Je tentais de dire juste d’une petite voix, une toute toute petite voix que si. Je pourrais. Impossible de dire comment bien sûr, mais je sais bien que je pourrai faire ça. Je n’ai pas honte. Je serai quand même une bonne maman pour lui. Bien sur qu’il me manquerait peut-être. Peut-être. En fin de compte, je n’en sais rien. Cela n’arrive jamais. Même pas 2 jours. Pour ne pas être une charge encore. Pour ne pas peser. Parce qu’il est trop petit. Parce que je n’ai pas les moyens. Parce qu’il a besoin de moi. Parce que personne ne me le propose spontanément vraiment, qu’il faut toujours demander. À un cercle restreint.
Oui parfois je voudrais faire pouce longtemps. Pour retrouver qui je suis au lieu de ne ramasser que des bribes, de ci et de là. Et avancer pour de vrai. Me remettre dans mon mouvement. Pas en mouvement, non, parce que ça, je le suis déjà. Oui, la force des choses. Je n’ai jamais aimé les situations imposées et j’enrage de ne rien pouvoir faire de celle là. Celle qui m’a mise en prison par la volonté d’un seul homme. Parce que je sais bien au fond qui je suis. Que les fleurs sont toujours là et qu’elle n’attendent que les bonnes conditions pour fleurir à nouveau. Vivement le printemps.