Atelier LIBER anniversaire

Gayané Adourian
4 min readMar 31, 2023

30.03.2023. Voici le texte que j’ai écrit pendant un atelier d’écriture LIBER spécial pour les 2 ans de l’atelier d’écriture. Merci Alice de porter cette espace, d’offrir de la place pour des voix depuis deux ans. Ici, j’ai choisi la consigne d’écrire à partir de la phrase “Pour que je puisse écrire encore.” Un texte écrit en 35 minutes, livré sans retouche. :-)

Pour que je puisse écrire encore... Il y a la chanson de Céline Dion “Pour que tu m’aimes encore”, et puis il y a la consigne d’Alice, dans les ateliers Liber : commencer un texte par “Pour que je puisse écrire encore.” Va savoir pourquoi j’associe ces deux phrases là. Peut-être parce que j’écoute en même temps que le monde s’est dédoublé de Clara Ysé. Une chanson, Céline Dion, pour que, encore. Ecrire. Encore. Encore et encore. Parce qu’écrire c’est crier dans le silence, c’est chanter sans la musique, c’est entrer dans la danse. La danse des mots, la danse des mères, la danse des soeurs, la danse de celle.ux qui ont quelque à dire, à raconter au monde entier.

Il a fallu que je devienne mère de cette façon là pour qu’écrire pour moi, redevienne vital. J’écris depuis toujours. Beaucoup pour les autres. Et ce que j’écrivais avant pour moi, je le gardais scellé. Je n’avais pas ma place. Ce n’était pas encouragé ni même valorisant. On le voyait plutôt comme une sorte hobby qui me repliait sur moi, alors que déjà, je racontais le monde. Le mien. Celui d’après. Celui du présent. Celui des autres. Ce qu’on ne comprenait pas, c’est que ce moment avec mon cahier, c’était ma part de révolte. Trop intimidée pendant longtemps par prendre la parole en public, je n’osais pas dire ma pensée. Je la gardais pour mes cahiers et mes devoirs de littérature ou de philosophie. Mais il fallu choisir pour mon avenir et j’ai pris une autre voie, celle où l’écrit ne comptais pas. Il n’y a que mon directeur de mémoire en master de science de l’environnement qui avait fait un commentaire sur ma “belle écriture” qu’il trouvait agréable et percutante.

À cette époque, j’écrivais déjà sur les glaciers qui reculaient. C’était il y a 17 ans. Et puis je suis tombée malade et l’écriture m’a rattrapée. Je ne pouvais plus danser avec mon corps, alors j’ai fait danser les mots à nouveau. J’ai écrit et j’en ai fait mon métier. Mais parmi plein de sujets d’environnement, j’écrivais toujours sur les glaciers. Parce qu’ils me fascinent, qu’ils me rendent petite, qu’ils sont en mouvement, qu’ils respirent au gré des saisons, qu’ils m’apprennent et doivent nous apprendre. Qui sommes-nous pour les faire disparaitre ?

Un jour, j’ai ouvert un blog, pour rendre public ce qui parfois traversait ma pensée. Je ne pouvais tout y mettre. Ça a commencé par un coup de gueule, contre ce type du métro, qui s’était permis l’indécence. J’y ai raconté mes aventures de femme entrepreneur et puis des pensées de maman abandonnée. Ailleurs, j’écrivais la maternité. Cachée. Pour ne pas qu’il tombe dessus et s’en serve contre moi. Jusqu’à peu. Je n’ai plus peur d’écrire la violence de ce que j’ai vécu. A croire qu’il me faut des sortes d’électrochoc pour que le stylo reviennent à ma main et que je puisse écrire. Encore.

Alors quand je suis devenue maman, qu’il n’y a plus eu personne. Plus personne à mes côtés. Plus personne pour vivre et témoigner ce que je vivais. Ce bouleversement si silencieux parce qu’il y a un autre à élever, à façonner que je ne pouvais pas parler. Je l’ai repris le stylo. Pour ne pas devenir folle. Pour me rappeler. Pour lui raconter. Dans les limbes des nuits sans sommeil, des dents qui percent et percent les oreilles, dans l’antre de la solitude ultime et l’espoir infime, mon carnet a construit à côté de moi, ce chemin que j’ai emprunté. Cette pente que je gravis toujours mais qui, il me semble est en train de s’adoucir un peu. J’ai écrit les joies, les souffrances, j’ai crié l’injustice, l’isolement, j’ai écrit l’espoir, l’amour, les envies, j’ai écrit aussi là où j’aimerais être. Et j’ai fait. J’ai écrit que je deviendrai fleuriste et je le suis devenue. J’ai écrit que je deviendrai doula et je suis en cours. J’ai écrit que je ferais écrire et je fais écrire. J’ai écrit sans m’arrêter, au lieu de dormir.

Et j’ai finalement croisé la route des ateliers Liber. Un jour d’hiver en 2022. Il m’a fallu deux mois pour y arriver faute de place mais en avril, j’ai enfin découvert La voix des mères. J’y ai écrit mais surtout, cette fois, j’ai entendu aussi. J’ai entendu des femmes merveilleuses, j’ai entendu d’autres solitudes, d’autres joies, d’autres rages. J’ai entendu l’amour, la couleur, la mémoire et ce lien qui nous reliait. J’ai pleuré. Toute seule ou avec elles. Pendant ou après. J’ai pleuré parce que ce que j’écrivais avait sa place. Que ce n’était pas un hobby. Qu’il fallait que ça soit dit. Que nos mots existent et qu’ils rendent réel ce que l’on vit. Qu’il n’y a pas de honte à traverser, à revendiquer, à manifester. Que chacun de nos mots à sa place. Publique.

J’ai pleuré parce que j’ai pensé à mes glaciers. Ceux que mon fils ne verra probablement plus parce qu’ils auront disparu d’ici 10 ans. Ecrire c’est la façon que j’ai trouvé pour les garder au creux de moi. De mon coeur. Lui raconter et nous souvenir. Me souvenir qu’ils sont un cadeau et vouloir les partager avec d’autres. Parce que comme le dit Clara Ysé, “la joie est à deux pas” et que le cadeau que nous offre le vivant fait la joie. Moi, comme une offrande, je livre mes textes sans les retoucher, à celle ou celui qui voudrait les recevoir et les sculpter à sa façon.

Mais pour que je puisse écrire encore, j’ai besoin de vie et de cadeaux moi aussi. C’est un peu ça LIBER. Un cadeau que je m’offre de temps en temps parmi d’autres. Un espace, un cercle infini, une ronde de mots, de femmes et de liens. Mais un cadeau. Pour moi. Pour nous et nous toutes. Joyeux anniversaire.

--

--

Gayané Adourian

Maman solo écolo en reconstruction. Ecriture. Fleuriste. Doula.