Écrire au présent pour se souvenir
Voici l’un de mes textes, écrit au cours d’un stage proposé par Alice (ateliers LIBER). Un texte avec une envie de manifeste. Un texte pour dire aux femmes qu’elles peuvent écrire. Et que si elles ne peuvent pas, d’autres le feront pour elles. Un texte sur les souvenirs, sur le contexte, sur l’abandon, sur les blessures, sur l’écriture. Un texte de femme dans une société où les hommes ont tous les droits. Première ébauche d’un texte que j’ai décidé de retravailler.
A ma grand-mère.
Je suis une femme et j’écris au présent. J’écris aujourd’hui comme j’ai toujours écrit. J’écris aujourd’hui comme s’il fallait le marquer noir sur blanc pour ne pas oublier. Dans 10 ans, dans 20 ans, dans 50 ans si jamais je suis encore là. Pour ne pas oublier ce que j’ai traversé. Ce qu’on a traversé. Parce qu’il ne s’agit pas toujours de moi. Ni que de moi. Ça sert à quoi de se souvenir ? Peut-être à ne pas refaire. Peut-être à apprendre. Peut-être à être aussi. Souviens toi petite fille. Souviens toi de qui tu es, de ce que tu aimes. Souviens toi aussi de ce que tu as traversé. Comment on se souvient quand notre mémoire enregistre, trie, classe et range dans les tiroirs ? Les photos ? Elles ne suffisent pas. Elles figent des sourires ou des situations. Elles cachent aussi des secrets quand l’écriture peut être vraie. Elle peut dire sans détour ou même avec fioritures, mais elle ne cache pas si elle décrit.
J’aurais aimé que mes grands-parents écrivent. J’ai eu le réflexe trop tard de les enregistrer et aujourd’hui, je ne sais plus trop où ils sont nés, les mers qu’ils ont traversé, les histoires de leur parents à eux, qui ont vécu le génocide. Je n’ai pas ces traces et je m’en veux. L’oral ne suffit pas. On oublie. On oublie alors que c’est important de se rappeler. Oui sinon on déforme. L’autre jour j’ai vu qu’il avait écrit “parano” en parlant de moi. La claque. Je crois que je ne m’en remets pas. Voilà pourquoi j’écris. Je suis une femme et je le dis, je l’écris, je le crie. Et si écrire est une façon de me faire entendre alors toutes les femmes doivent écrire. Quand elles peuvent, dès qu’elles peuvent. Et si elles ne peuvent pas, d’autres femmes doivent écrire pour elles. D’autres femmes doivent les écouter et écrire “voilà ce que vit cette femme là.” Ecrire, je l’ai toujours fait. J’en ai même fait mon métier à un moment. Sans le savoir, j’avais deux écritures. Celle contrainte par le format journalistique et l’autre. Libre, émotive, sincère. C’est celle-ci qui a pris le pas sur l’autre, qui avait fini par me sembler vide, désincarnée. J’adorais les portraits. J’ai rencontré de magnifiques personnes grâce à cela. Et j’ai cherché les femmes.
Moi, j’écrivais sans même penser que j’étais une femme qui écrit. La distance, je l’avais prise même avec moi, sous prétexte d’être objective. Mais je ne suis plus sure que ça existe aujourd’hui. L’objectivité. Pour contrer ça, et toujours me retrouver, j’ai continué d’écrire, de raconter. J’adore les carnets de voyages et on pourrait tout voir à travers le fil d’un carnet de voyage. Comme un chemin dans des collections de souvenirs. A la première personne. Sans distance. Avec philosophie parfois, ou juste cru. Là. Présent. Jusqu’au dernier souvenir peut-être. Il y a ça de fascinant dans l’écriture aussi. On peut être proche des gens quand on y met de soi. C’est quoi son dernier souvenir ?
Ecrire en tant que femme, c’est écrire avec son contexte, son histoire, et aussi tout ce poids intégré depuis si longtemps. C’est offrir aussi au monde, une autre façon de le voir. Un autre prisme. Et pourquoi pas après tout ? Ce dont je me suis rendue compte, c’est qu’on peut écrire quand on a le temps. Et c’est un luxe. Quand le quotidien n’est pas si douloureux que l’espace mental est suffisant pour aligner quelques mots, quelques pensées, quand on est au chaud, quand on a mangé, ou quand on n’a rien d’autre à faire. Peut-être quand on est riche aussi en quelque sorte. Rappelle toi. Le contexte. C’est important pour moi.
Une femme qui écrit, c’est précieux. Parce que quand elle écrit, elle prend sur quelque chose d’autre. Ses heures de sommeil, sa pile de linge, sa cuisine qui n’est pas rangée, son travail, que sais-je encore. Et si elle y arrive, à la fin elle s’en excuse. Est-ce qu’un homme s’excuse d’un livre ou d’un poème ? Voilà pourquoi il faut lire les femmes qui écrivent. Ça vient de si profond dans leur ventre, qu’elles sont prêtes à se créer de l’espace dans une vie millimétrée pour prendre ce temps d’écriture. Et des femmes comme elles, j’en ai rencontré. Je sais qu’elles sont là, qu’elles sont comme moi.
Je suis une femme et j’écris. Je le redis comme un mantra. Avec mes émotions, ma colère, ma tristesse, ma joie, mon élan, mes élans. Souvent je me demande si j’ai le droit d’écrire ça ? Mais je le fais quand même. Parce que raconter ce que je traverse c’est important. Pour qui ? Je ne sais pas. Pour d’autres femmes oui, pour mon fils aussi, plus tard. Pour d’autres hommes peut-être. Je ne me cache pas. Je rends tout cela public et pourtant je suis pudique. On a tous et toutes appris à enfouir nos blessures. A faire comme si. Mais le sparadrap dessus qui ne tient pas, je n’en veux plus. Je n’en peux plus. Si on les voyait plus nos blessures, peut-être qu’on se blesserait moins entre nous ? Quand on devient maman, on met parfois du temps à accepter ses cicatrices, son nouveau corps, les stries, les cernes, les différences. Elles sont là et ne partiront jamais car elles font partie de nous. Je considère les blessures de la même façon. Elles font partie de nous. Bien sûr, elles aussi peuvent s’estomper, guérir, cicatriser. Mais elles sont là, pas la peine de les cacher.
Aujourd’hui mon écriture a certainement un peu changé. J’étais une petite fille, une ado et maintenant, je suis une femme qui écrit et je le sais. Je sais ce que cela implique. Une femme. Une maman aussi. Mais surtout une femme. Traversée par la maternité, traversée par l’abandon, traversée par les questions de choix et d’obligations, traversée par les questions de sens, d’écologie, de société.
Je me suis mise aussi à écrire le féminisme à travers la maternité. Un point d’entrée comme un autre. Pour moi, c’est l’injustice. Si je ne me sentais pas légitime avant, ce n’est plus le cas. Parce que maman abandonnée, ce n’est pas rien. C’est la société qui le rend possible, qui l’accepte. Et ça, je ne l’imaginais pas. Pas à ce point. Parce qu’il est homme, blanc, cis, et même socialement élevé, il a eu le droit de partir alors que j’étais enceinte de 8 mois. De partir loin avec ses 3 valises et de me laisser tout. Même le chat. Sans être inquiété une seule fois. Oui qu’est-ce qui a changé dans sa vie à lui ? Rien. Il l’a refaite. Reparti de zéro. Un autre territoire, une autre meuf, un autre enfant. Et c’est reparti ! Comme si de rien n’était. Hop. Qui se souvient ? De nous ? De son nouveau-né laissé sans scrupule ? Ah si, il me doit 180€ par mois comme contribution pour que j’élève son enfant. Voilà. Ça coute ça un abandon. Voilà pourquoi c’est permis. Je pourrais même dire que c’est pas cher et que ça ne change rien quand on est un homme. Parce que le pire, c’est qu’il peut absolument recommencer. Et pendant ce temps, moi j’ai tout porté. Je porte tout. L’enfant depuis sa naissance, la maison qui doit rester propre, les finances, le travail, la vie sociale pour ne pas devenir folle, mon bien-être aussi dont il parait que je dois m’occuper. Le tout dans une prison dont je noirci tranquillement les murs. Le tout, au nom du lien père-enfant que je suis censée garder. Que d’injonctions.
Oui je vous le dis, lisez les femmes. Lisez-les et apprenez d’elles. Asseyez vous à leur côté et écoutez. Comme à l’époque de la tradition orale, je rêve d’entendre ces récits, qui ne parlent ni de combats ni de domination, mais qui parlent d’êtres et d’émotions. Et moi dans tout ça, j’apprendrai à mon fils à les écrire. Ses failles, ses émotions, ses blessures. Pour qu’il sache qu’elles sont là, qu’elles font partie de lui et qu’en les reconnaissant, il sera ce que n’a jamais été son père, ce que ne sont pas non plus certains si ce n’est tous. Sincère.
Alors je m’écris au présent, pour ne pas oublier. Pour raisonner, donner une forme à ce chaos. Pour voir le chemin aussi. Le chemin d’une femme qui écrit, entière. Bien sûr, cela me fait peur. Mais quelque part, je sais que je ne suis pas seule, que cette écriture sincère et sans fard, c’est aussi une écriture pour crier, pour libérer, pour exister et pour relier aussi. Comme toutes les notes d’une partition de musique, qui n’en finissent pas de s’envoler.